dimanche, octobre 08, 2006

la mondialisation vue par le sociologue Pierre Bourdieu

J'ai évoqué la « globalisation » : c'est un mythe au sens fort du terme, un discours puissant, une « idée force », une idée qui a de la force sociale, qui obtient la croyance. C'est l'arme principale des luttes contre les acquis du welfare state : les travailleurs européens, dit-on, doivent rivaliser avec les travailleurs moins favorisés du reste du monde. On donne ainsi en modèle aux travailleurs européens des pays où le salaire minimum n'existe pas, où les ouvriers travaillent 12 heures par jour pour un salaire qui varie entre 1/4 et 1/5e du salaire européen, où il n'y a pas de syndicats, où l'on fait travailler les enfants, etc. Et c'est au nom d'un tel modèle qu'on impose la flexibilité, autre mot-clé du libéralisme, c'est-à-dire le travail de nuit, le travail des week-ends, les heures de travail irrégulières, autant de choses inscrites de toute éternité dans les rêves patronaux. De façon générale, le néo-libéralisme fait revenir sous les dehors d'un message très chic et très moderne les plus vieilles idées du plus vieux patronat. (Des revues, aux États-Unis, dressent le palmarès de ces patrons de choc, qui sont classés, comme leur salaire en dollars, d'après le nombre de gens qu'ils ont eu le courage de licencier). C'est le propre des révolutions conservatrices, celle des années trente en Allemagne, celle des Thatcher, Reagan et autres, de présenter des restaurations comme des révolutions. La révolution conservatrice aujourd'hui prend une forme inédite : il ne s'agit pas, comme en d'autres temps, d'invoquer un passé idéalisé, à travers l'exaltation de la terre et du sang, thèmes archaïques des vieilles mythologies agraires. Cette révolution conservatrice d'un type nouveau se réclame du progrès, de la raison, de la science (l'économie en l'occurrence) pour justifier la restauration et tente ainsi de renvoyer dans l'archaïsme la pensée et l'action progressistes. Elle constitue en normes de toutes les pratiques, donc en règles idéales, les régularités réelles du monde économique abandonné à sa logique, la loi dite du marché, c'est-à-dire la loi du plus fort. Elle ratifie et glorifie le règne de ce que l'on appelle les marchés financiers, c'est-à-dire le retour à une sorte de capitalisme radical, sans autre loi que celle du profit maximum, capitalisme sans frein et sans fard, mais rationalisé, poussé à la limite de son efficacité économique par l'introduction de formes modernes de domination, comme le management, et de techniques de manipulation, comme l'enquête de marché, le marketing, la publicité commerciale.

Pierre Bourdieu.1998.extrait de "Contre-feux. "


Questions
1.Pourquoi Bourdieu condidère-t-il la mondialisation libérale(ou globalisation)comme néfaste?
2.Comment peut-on définir la fléxibilité"?
3.En quoi peut-elle augmenter la précarité des employés et des ouvriers ?



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